Le blues du voyageur au long cours

La phase de transition d’un pays à un autre pendant un long voyage est un sujet finalement peu abordé. C’est pourtant un moment important du voyage avec à la clé souvent quelques remises en question. Il faut dire qu’en quelques semaines, on prend vite ses marques dans un nouveau pays : où faire ses courses, où dormir, etc. Alors, quand on arrive dans un nouvel environnement, cela demande de tout réapprendre de zéro pour retrouver des repères. Cette transition peut se faire avec plus ou moins de douceur. L’état d’esprit et les préjugés avec lesquels on débarque jouent un grand rôle dans le ressenti du moment. Mais, la différence de culture, de langue et le niveau de vie du pays ont aussi un impact non négligeable. Ces trois facteurs ont souvent tendance à nous faire perdre nos repères.

Pendant notre première année de voyage, on n’avait jusque là pas vraiment éprouvé de grandes difficultés à s’adapter. Il faut dire que l’excitation de découvrir un nouveau pays prenait souvent le pas. Mais, au fur et à mesure du temps, il devient de plus en plus difficile de quitter un pays dans lequel on se sent bien, surtout quand on y a passé plusieurs mois et vécu des expériences inoubliables. La transition entre l’Australie et l’Indonésie s’est ainsi révélée plus compliquée pour nous. D’autant que cela s’est conjugué avec un changement de mode de voyage. On passait d’une autonomie totale en van dans la solitude des grands espaces sauvages au voyage en sac à dos dans le tumulte des villes indonésiennes. On t’emmène donc aujourd’hui dans les coulisses de notre arrivée en Indonésie et du blues du voyageur.

Bouger encore et toujours…

Après plus de 2 mois de voyage en van en Australie occidentale, on s’envole pour Denpasar en Indonésie. Enfin ça c’est en théorie, car malgré tous les changements qu’on a opérés pendant notre voyage, notre billet d’avion tour du monde est lui resté le même. C’est-à-dire qu’il nous faut partir de Sydney et non de Darwin. Alors, après plus de 12km de marche entre l’agence de location de la voiture et l’aéroport sous une chaleur caniculaire et avec nos sacs sur le dos, on prend au milieu de la nuit un premier avion pour Sydney. Une fois à Sydney, on enchaîne sur deux autres vols pour relier Sydney à Bangkok puis Bangkok à Singapour. À Singapour, on n’a pas d’autre choix que de passer la nuit dans l’aéroport, notre prochain vol n’étant que le lendemain matin. Bien sûr les aéroports sont ainsi faits : aucun endroit n’est réellement propice pour y passer la nuit. La seule alternative qu’on trouve est souvent un coin un peu plus calme avec des fauteuils. Mais, le sommeil n’est pas vraiment réparateur. Dans ces situations, on ne dort que d’un œil par crainte de se faire voler ses affaires.

Avec cette succession de vol et de confort précaire, on en vient à s’interroger sur ce qu’on fait là. Pourquoi s’infliger pareille chose ? Alors que tu pourrais être tranquille chez toi au fond de ton lit. Autant te dire qu’à ce moment-là on regrette d’avoir pris un billet d’avion tour du monde. Un simple avion de 3-4h nous aurait amenés directement de Darwin à Bali. Au lieu de passer 2 nuits et une journée dans les avions et les aéroports. D’un, tout cela n’est pas écologique du tout, et de deux, ce mode de déplacement plus ou moins figé ne colle pas avec notre besoin de pouvoir modifier notre voyage au gré de nos envies. Facile de dire cela une fois le voyage en cours. Mais avant de se lancer, difficile de budgétiser une telle aventure avec tous les aléas possibles. Alors, par sécurité, on avait plutôt privilégié le coût à la flexibilité. Enfin, tout cela est un autre sujet…

L’usure du voyage au long cours

En plus de ces problèmes purement logistiques, voilà déjà 10 mois qu’on voyage et une certaine usure commence à se fait sentir. L’envie de se poser commence à pointer le bout de son nez. Les milliers de kilomètres qu’on a enchaînés en une dizaine de jours en Australie n’aident sans doute pas. Puis, nos besoins n’ont de cesse d’évoluer au gré du voyage. Plus que de faire du tourisme, on serait finalement bien resté plus longtemps en Australie pour vivre une expérience différente comme faire du bénévolat ou travailler. Mais, le sort en a décidé autrement. Notre visa gratuit australien se terminait et il était impossible de le renouveler sur place sans un coût exorbitant. On a beau vouloir y échapper, il y a finalement toujours une contrainte qui est là pour orienter nos choix. La liberté est donc toute relative.

Départ - Arrivée voyageur au long cours

La réalité d’un pays

À l’aéroport de Denpasar, une fois notre visa temporaire en poche et nos bagages récupérés, il faut trouver une solution pour se rendre à notre hôtel. Comme on improvise au fur et à mesure de notre voyage, c’est bien souvent une fois sur place qu’on se confronte à la réalité du pays. Après l’Australie, on s’imaginait voyager en Indonésie comme des princes en raison du faible niveau de vie. Mais, la réalité est souvent un peu différente de l’idée qu’on s’en fait.

Et là, bienvenue dans la mafia du taxi ! Les tarifs pratiqués sont tout simplement exorbitants par rapport au niveau de vie local. Hors de question pour nous de contribuer à cette mascarade. Oui, c’est sûr cela aurait été tellement plus simple de monter dans un taxi et descendre à notre hôtel. Mais, c’est contraire à notre éthique de voyage et cela en devient une question de principe. On ne veut pas contribuer par nos actions à la flambée des prix auxquels les Balinais doivent ensuite faire face. Ce n’est pas parce qu’on est touriste qu’on n’a aucune responsabilité.

Malgré la fatigue et l’envie de se terrer dans un bon lit douillet, on est contraint de partir en quête d’une autre solution. Et autant te dire qu’en Indonésie c’est une grande partie de l’Aventure ! Dès que tu sors des sentiers touristiques ou des tours organisés, c’est le néant quasi total… On parvient quand même à trouver sur un blog l’existence d’un bus qui pourrait nous rapprocher de notre hôtel. Mais, avec aucun itinéraire et arrêt officiel clair… Bienvenue en Indonésie  !

Quelques sièges à l’extérieur de l’aéroport sont censés marquer l’endroit où on doit attendre le bus. Pendant le trajet pour s’y rendre, inutile de te dire qu’on s’est bien fait harceler par les chauffeurs de taxi qui essayent de te convaincre que ce n’est pas possible d’aller dans le quartier de ton hôtel en bus. Mieux vaut être certain de son coup dans ce genre de situations, sinon il est facile de se faire avoir. On comprendra un peu plus tard lors de notre voyage que si le bus ne t’amène pas à moins de 2m de ta destination, on te dit que le bus n’y va pas ! Mais on peut marcher quand même ! Ce n’est pas 2-3 km de marche qui nous font peur !

Pour couronner le tout, on ne sait même pas les horaires du bus. Alors, on attend pendant plus d’une heure avec aucune certitude que celui-ci se présente un jour à nous. Un premier bus passe, mais ce n’est pas la bonne destination. Le deuxième c’est le bon. Youpi ! On n’a pas attendu pour rien !

Immersion brutale dans le tumulte indonésien

Le bus est seulement rempli de locaux et rien n’est fait pour faciliter la vie des touristes. Les arrêts ne sont pas indiqués ou annoncés. Heureusement, grâce au GPS, on parvient à se repérer et on descend à seulement 3 km de marche de notre hôtel. Mais, ce qu’on n’avait pas prévu, c’est que 3km dans Denpasar ne valent pas 3 km sur un sentier de montagne ! Cela prend beaucoup plus de temps avec l’absence de trottoirs, les trous, les tas d’ordures, les stands ou les scooters à éviter ! Pour traverser, c’est uniquement au pas de course et il faut profiter de la moindre accalmie dans le flux incessant de circulation… Mon expérience indienne se révèle utile, alors que pour Sandrine c’est une première. Le trajet jusqu’à l’hôtel est donc une vraie aventure en soi ! Sans oublier qu’avec le poids du sac sur le dos et la chaleur ambiante, on fond comme neige au soleil  ! On préférerait être n’importe où à ce moment-là plutôt qu’au milieu de ce bordel à ciel ouvert… C’est la première fois qu’on ressent le blues du voyageur. Celui-ci arrive sans crier gare.

Circulation à Denpasar à Bali

Dans les ruelles qu’on traverse, les locaux nous regardent avec un mélange de surprise et de curiosité. Clairement, ils ne sont pas habitués à voir des touristes se balader dans le coin et encore moins des touristes qui marchent avec un gros sac sur le dos ! On arrive épuisé à notre homestay, un petit hôtel tenu par des locaux en plein cœur de Denpasar, mais on est super content d’avoir relevé ce défi. L’hôtel est calme avec les chambres qui donnent sur une cour intérieure, cela fait un bien fou après le tumulte extérieur ! On retrouve aussi avec plaisir un confort dont on n’avait plus accès depuis 9 mois : douche chaude, matelas, électricité, draps et serviettes propres, etc. Pour nous, c’est le grand luxe et cela fait oublier un temps le lieu où on se trouve !

Réveil difficile…

Mais le réveil est difficile, les montagnes de Nouvelle-Zélande et le désert australien sont bel et bien derrière nous. Ce qui se présente devant nous ne nous ravit alors pas vraiment. Quelle idée nous est passée par la tête pour venir en Indonésie ? On rêvait de volcans, de rizières et de plages sauvages. Mais là, tout ce qu’on a le droit c’est au vacarme incessant, à la pollution et à la ville…

Maintenant qu’on est là, on n’a pas vraiment le choix. D’autant qu’il nous faut patienter deux semaines en ville pour effectuer les démarches d’extension de notre visa. On profite donc de ces premiers jours pour faire notre lessive et se reposer. Pour la première fois en 10 mois, on se transforme en ermites à se terrer dans l’hôtel et enchaîner les films. C’est comme-ci, on avait besoin de se créer une réalité alternative pour se sentir ailleurs, au moins pendant un temps.

Hôtel à Denpasar à Bali

Mais, nos dernières réserves de nourriture s’épuisent. Il faut bien sortir pour manger. Alors, tranquillement, on essaie de s’acclimater à ce nouvel environnement en explorant le quartier aux alentours de l’hôtel. Cela peut sembler bête à dire, mais il nous faut bien ça après les deux mois passés dans la solitude du désert Australien où nos rencontres étaient principalement animales  ! Ici, le bruit et la circulation sont incessants à toutes heures de la journée. On passe du plaisir d’observer les feuilles des arbres bougées au vent à une sollicitation visuelle épuisante.

Absence de vraies rencontres

Nos déambulations sont l’occasion de s’initier à la cuisine locale et d’aller à la rencontre des locaux dans les quelques warungs (des stands de rue) qui jalonnent les alentours de l’hôtel. Sans aucune connaissance des prix pratiqués, on a le droit à l’habituelle inflation du prix spécial touriste. Seuls le temps et l’expérience nous le font réaliser, car il existe encore quelques endroits où les prix sont les mêmes que tu sois touriste ou pas. Mais, ce sentiment désagréable d’avoir l’impression de se faire avoir n’est pas fait pour nous réconcilier avec les lieux. Rencontre à Denpasar à BaliCela nous couperait presque l’envie d’acheter quoi que ce soit. Notre budget s’adapte au niveau de vie locale du pays alors il n’est pas vraiment envisageable pour nous de payer 2 ou 3 fois le prix réel des choses.

Pendant nos repas, quelques personnes osent venir nous aborder. Comme c’est plutôt rare de rencontrer des Balinais qui parlent anglais, on en profite. Mais, de fil en aiguille on se rend compte que c’est souvent intéressé. La personne finit par nous parler d’un magasin ou d’un membre de sa famille chauffeur de taxi. C’est frustrant cette difficulté d’établir de véritables relations, on semble plutôt vu comme des billets sur pattes que des êtres humains. C’est le genre de situations où tu touches du doigt le préjugé : blanc = riche.

Loin de nous l’idée de généraliser, nous avons aussi fait la rencontre de personnes avec le cœur sur la main. Comme ce Balinais qui nous avait interpellés en français dans la rue alors qu’on était en quête d’un fusible pour notre adaptateur universel. Il attendait ses enfants à la sortie de l’école et était fier de pouvoir échanger quelques mots en français. Il avait eu l’extrême gentillesse d’aller nous chercher des fusibles sans rien accepter en échange. C’était juste adorable !

Finalement, c’est une des premières fois en voyage où on se confrontait à ce type de situations. Celles où les locaux t’abordent, parfois de manière intéressée, parfois non. Aux premiers abords, on a tendance à se méfier. Mais, si on fait le bilan, on a parfois rencontré des gens très gentils comme d’autres fois des gens intéressés. C’est un équilibre difficile à trouver. Il faut être souriant et abordable, tout en restant vigilant. Au final, c’est assez fatigant parce que cela a tendance à parasiter les échanges avec les autres.

L’absence de liberté

On dit souvent qu’on se rend compte d’une chose lorsqu’on ne l’a plus. Cette période de transition et le mal du pays qui l’accompagne auront au moins eu le mérite de nous faire prendre conscience d’une chose. La liberté est un élément essentiel dans notre plaisir de voyager. Nous avons ce besoin viscéral de pouvoir explorer où et quand on veut. Ne pas être contraint de payer des taxis pour se déplacer, dépendre des horaires des bus pour aller à tel ou tel endroit, passer par un tour ou un guide pour gravir telle ou telle montagne. Les jours qui passent entre les rendez-vous au bureau d’immigration se transforment petit à petit en supplice. La difficulté de se déplacer dans la ville et son étendue rend l’exploration limitée. Très vite, on a ce sentiment d’être prisonnier dans notre homestay.

Alors, on décide d’organiser le reste de notre séjour en tenant compte de cet élément. On préfère vivre les choses de la manière dont on les aime ou ne pas les voir du tout. Pour la première fois, on est donc prêt à sacrifier d’aller dans tel ou tel lieu si le moyen de s’y rendre ne nous correspond pas.

Le passage entre l’Australie et l’Indonésie a été sans aucun doute la transition la plus difficile de notre première année de voyage. Se retrouver directement dans l’une des villes les plus peuplées d’Indonésie après plusieurs mois de solitude dans les grands espaces sauvages d’Australie a été un véritable choc. Pour la première fois, on a mis le doigt sur le choc des cultures et le mal du pays. Mais, cette phase de transition nous a permis de réaliser certaines choses par rapport à notre manière de voyager et notre besoin de liberté. Toute expérience est bonne à prendre surtout quand celle-ci permet de mieux se comprendre soi-même.

Et toi, as-tu déjà connu le blues du voyageur au cours de tes voyages ? N’hésite pas à nous raconter ton expérience dans les commentaires.

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